Le 17 octobre, les militants d’ATD Quart Monde se mobilisent contre les idées reçues sur les pauvres et la pauvreté. Entretien avec Jean-Christophe Sarrot, qui a coordonné un petit livre riche d’informations… et de propositions.
La seconde édition du guide En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté démonte 104 clichés sur les aides sociales, l’éducation, l’immigration, le travail, la banlieue… Comment avez-vous répertorié et démonté ces idées reçues ?
Jean-Christophe Sarrot : La première étape a été de demander aux membres d’ATD Quart Monde qui ont l’expérience de la pauvreté, de rassembler tout ce qu’ils entendaient dire dans leur quartier, à l’école… Comme par exemple : « Tes parents ne sont pas capables de travailler, et de toutes façons, ils gagnent plus avec le RSA. » Nous avons ensuite cherché des éléments objectifs, dans les rapports publics et les travaux de chercheurs, sur toutes ces questions. Enfin, nous avons présenté notre travail à des partenaires (Défenseur des droits, Commission nationale consultative des droits de l’homme, syndicats, associations…) qui ont validé et corrigé nos éléments.
La lutte contre les préjugés a été choisie cette année comme thème de la Journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre. Pour les personnes qui vivent dans la précarité, ces préjugés sont-ils un problème prioritaire ?
J-C.S : Les idées reçues sont très nombreuses et renaissent régulièrement, souvent sous l’apparence du simple bon sens. Elles ont un effet très négatif : les gens finissent par se croire incapables et responsables de leur situation. Quand on ne trouve pas de travail pendant des mois, on se demande si le problème ne vient pas de soi. Nous voulons que les gens sachent, au moment où ils se prennent ces préjugés dans la figure, qu’il ne s’agit pas de vérités officielles, même si ces idées sont reprises comme telles par des médias et des responsables politiques. ATD Quart Monde est née en 1957 sur l’intuition que l’exclusion n’est pas seulement matérielle et financière : c’est aussi une question de rejet, de mise à l’écart. Cette idée a repris de la vigueur lors des élections présidentielle et législatives de 2012, lorsque les populations en grande difficulté sont devenues les boucs émissaires de la crise. Quand on a entendu des choses du genre : « On peut gagner plus au RSA qu’avec le Smic », on s’est dit qu’il fallait vraiment qu’on creuse ça. On a publié des réponses sur internet, et on a fait un dépliant qui a été tellement demandé qu’on a décidé de publier un petit livre pas cher.
Comment les militants d’ATD Quart Monde, dont beaucoup vivent dans la pauvreté, utilisent ce travail sur les idées reçues ?
J-C.S : Le dépliant leur permet d’appuyer un discours qu’ils ne savent pas toujours très bien argumenter. Par exemple, de nombreux parents sont allés le donner aux professeurs de leurs enfants.
En dehors du préjudice moral, cette stigmatisation des pauvres a-t-elle des conséquences politiques et matérielles ?
J-C.S : Certaines idées se traduisent par des actes ou des décisions, et deviennent alors discrimination. Par exemple, l’un des préjugés les plus forts consiste à dire que les pauvres sont des spécialistes du recours aux aides sociales. C’est faux : la moitié des gens qui auraient droit au RSA ne le demandent pas, que ce soit par fierté, par difficulté ou par crainte des contrôles. Mais comme le RSA coûte cher aux Conseils généraux, certains ont entrepris de faire la chasse aux bénéficiaires. Tout le discours sur la fraude sociale se traduit alors, auprès de certains travailleurs sociaux, par des directives pour demander encore plus de justificatifs aux bénéficiaires : des relevés de compte sur plusieurs mois par exemple, que tous ne pourront pas fournir. C’est une vue à court terme, car la précarité finit par coûter très cher en échec scolaire, en chômage de longue durée, en mauvaise santé…
Les chapitres que vous consacrez au travail tombent à pic, quelques semaines après les déclarations de François Rebsamen, ministre du Travail, qui a demandé à Pôle Emploi de contrôler davantage les demandeurs d’emploi…
J-C.S : C’est hallucinant d’entendre le ministre dire que si les chômeurs cherchaient mieux, ils trouveraient du travail. Les médias et les responsables politiques répètent régulièrement qu’il y aurait entre 200 à 400 000 offres d’emploi disponibles. En réalité, si l’on ne tient compte que des offres non pourvues, proposant un véritable emploi qui permettra au candidat de vivre, il n’y en a que 120 000. En attendant, on va contrôler les gens, leur demander d’effectuer des démarches… Mais ce n’est qu’un théâtre, un cirque dans lequel le chercheur d’emploi doit jouer un rôle en répondant à des offres qui n’existent pas parce qu’on ne prend pas les moyens de les créer.
En seconde partie du livre, vous cherchez à démonter l’idée reçue selon laquelle « on ne peut pas faire autrement ». Sur la question du travail, quelles sont vos propositions ?
J-C.S : Ce que nous proposons, c’est de créer de l’emploi en recensant les besoins non couverts sur un territoire, car non (ou partiellement) solvables. Par exemple, il peut y avoir besoin d’un cantonnier sur un village, sans que la commune n’ait les moyens de le payer. Et il peut y avoir sur cette commune, une personne au RSA qui pourrait exercer cette fonction. Si on lui crée un emploi, même à temps partiel, la personne change de statut : elle est mieux considérée, et elle rend service à la collectivité. Pour financer ces emplois, nous proposons de leur réaffecter le coût de la gestion du chômage de longue durée. Cette solution est aujourd’hui légalement impossible, mais elle peut le devenir localement par la mise en application de la loi organique de 2003, autorisant les collectivités territoriales à expérimenter dans leurs champs de compétences.
Nous pensons aussi que l’Etat devrait créer directement des emplois, plutôt que de baisser les charges des entreprises en priant pour que cela les pousse à embaucher. Avec les 10 milliards d’euros du Pacte de compétitivité, dont le gouvernement espère qu’il créera 150 000 emplois au bout de cinq ans, on pourrait créer 500 000 emplois au Smic. Nous avons aussi constaté que 11 milliards d’euros sont économisés chaque année par l’Etat, parce que des personnes qui peuvent prétendre aux prestations sociales n’y ont pas recours. Pourquoi ne pas affecter cette somme à la création d’emplois ?
Recueilli par Lisa Giachino
> En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, ATD Quart Monde, éd. de L’Atelier, 220 p., 5 euros, en librairie début octobre.
> Sur le site atd-quartmonde.fr : des infos sur la Journée mondiale du refus de la misère, des affiches pour lutter contre les préjugés…
> jeneveuxplus.org : une pétition lancée par ATD Quart Monde, en faveur de la reconnaissance de la discrimination pour raison de précarité sociale
http://www.lagedefaire-lejournal.fr/atd-quart-monde-contre-les-prejuges/
La seconde édition du guide En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté démonte 104 clichés sur les aides sociales, l’éducation, l’immigration, le travail, la banlieue… Comment avez-vous répertorié et démonté ces idées reçues ?
Jean-Christophe Sarrot : La première étape a été de demander aux membres d’ATD Quart Monde qui ont l’expérience de la pauvreté, de rassembler tout ce qu’ils entendaient dire dans leur quartier, à l’école… Comme par exemple : « Tes parents ne sont pas capables de travailler, et de toutes façons, ils gagnent plus avec le RSA. » Nous avons ensuite cherché des éléments objectifs, dans les rapports publics et les travaux de chercheurs, sur toutes ces questions. Enfin, nous avons présenté notre travail à des partenaires (Défenseur des droits, Commission nationale consultative des droits de l’homme, syndicats, associations…) qui ont validé et corrigé nos éléments.
La lutte contre les préjugés a été choisie cette année comme thème de la Journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre. Pour les personnes qui vivent dans la précarité, ces préjugés sont-ils un problème prioritaire ?
J-C.S : Les idées reçues sont très nombreuses et renaissent régulièrement, souvent sous l’apparence du simple bon sens. Elles ont un effet très négatif : les gens finissent par se croire incapables et responsables de leur situation. Quand on ne trouve pas de travail pendant des mois, on se demande si le problème ne vient pas de soi. Nous voulons que les gens sachent, au moment où ils se prennent ces préjugés dans la figure, qu’il ne s’agit pas de vérités officielles, même si ces idées sont reprises comme telles par des médias et des responsables politiques. ATD Quart Monde est née en 1957 sur l’intuition que l’exclusion n’est pas seulement matérielle et financière : c’est aussi une question de rejet, de mise à l’écart. Cette idée a repris de la vigueur lors des élections présidentielle et législatives de 2012, lorsque les populations en grande difficulté sont devenues les boucs émissaires de la crise. Quand on a entendu des choses du genre : « On peut gagner plus au RSA qu’avec le Smic », on s’est dit qu’il fallait vraiment qu’on creuse ça. On a publié des réponses sur internet, et on a fait un dépliant qui a été tellement demandé qu’on a décidé de publier un petit livre pas cher.
Comment les militants d’ATD Quart Monde, dont beaucoup vivent dans la pauvreté, utilisent ce travail sur les idées reçues ?
J-C.S : Le dépliant leur permet d’appuyer un discours qu’ils ne savent pas toujours très bien argumenter. Par exemple, de nombreux parents sont allés le donner aux professeurs de leurs enfants.
En dehors du préjudice moral, cette stigmatisation des pauvres a-t-elle des conséquences politiques et matérielles ?
J-C.S : Certaines idées se traduisent par des actes ou des décisions, et deviennent alors discrimination. Par exemple, l’un des préjugés les plus forts consiste à dire que les pauvres sont des spécialistes du recours aux aides sociales. C’est faux : la moitié des gens qui auraient droit au RSA ne le demandent pas, que ce soit par fierté, par difficulté ou par crainte des contrôles. Mais comme le RSA coûte cher aux Conseils généraux, certains ont entrepris de faire la chasse aux bénéficiaires. Tout le discours sur la fraude sociale se traduit alors, auprès de certains travailleurs sociaux, par des directives pour demander encore plus de justificatifs aux bénéficiaires : des relevés de compte sur plusieurs mois par exemple, que tous ne pourront pas fournir. C’est une vue à court terme, car la précarité finit par coûter très cher en échec scolaire, en chômage de longue durée, en mauvaise santé…
Les chapitres que vous consacrez au travail tombent à pic, quelques semaines après les déclarations de François Rebsamen, ministre du Travail, qui a demandé à Pôle Emploi de contrôler davantage les demandeurs d’emploi…
J-C.S : C’est hallucinant d’entendre le ministre dire que si les chômeurs cherchaient mieux, ils trouveraient du travail. Les médias et les responsables politiques répètent régulièrement qu’il y aurait entre 200 à 400 000 offres d’emploi disponibles. En réalité, si l’on ne tient compte que des offres non pourvues, proposant un véritable emploi qui permettra au candidat de vivre, il n’y en a que 120 000. En attendant, on va contrôler les gens, leur demander d’effectuer des démarches… Mais ce n’est qu’un théâtre, un cirque dans lequel le chercheur d’emploi doit jouer un rôle en répondant à des offres qui n’existent pas parce qu’on ne prend pas les moyens de les créer.
En seconde partie du livre, vous cherchez à démonter l’idée reçue selon laquelle « on ne peut pas faire autrement ». Sur la question du travail, quelles sont vos propositions ?
J-C.S : Ce que nous proposons, c’est de créer de l’emploi en recensant les besoins non couverts sur un territoire, car non (ou partiellement) solvables. Par exemple, il peut y avoir besoin d’un cantonnier sur un village, sans que la commune n’ait les moyens de le payer. Et il peut y avoir sur cette commune, une personne au RSA qui pourrait exercer cette fonction. Si on lui crée un emploi, même à temps partiel, la personne change de statut : elle est mieux considérée, et elle rend service à la collectivité. Pour financer ces emplois, nous proposons de leur réaffecter le coût de la gestion du chômage de longue durée. Cette solution est aujourd’hui légalement impossible, mais elle peut le devenir localement par la mise en application de la loi organique de 2003, autorisant les collectivités territoriales à expérimenter dans leurs champs de compétences.
Nous pensons aussi que l’Etat devrait créer directement des emplois, plutôt que de baisser les charges des entreprises en priant pour que cela les pousse à embaucher. Avec les 10 milliards d’euros du Pacte de compétitivité, dont le gouvernement espère qu’il créera 150 000 emplois au bout de cinq ans, on pourrait créer 500 000 emplois au Smic. Nous avons aussi constaté que 11 milliards d’euros sont économisés chaque année par l’Etat, parce que des personnes qui peuvent prétendre aux prestations sociales n’y ont pas recours. Pourquoi ne pas affecter cette somme à la création d’emplois ?
Recueilli par Lisa Giachino
> En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, ATD Quart Monde, éd. de L’Atelier, 220 p., 5 euros, en librairie début octobre.
> Sur le site atd-quartmonde.fr : des infos sur la Journée mondiale du refus de la misère, des affiches pour lutter contre les préjugés…
> jeneveuxplus.org : une pétition lancée par ATD Quart Monde, en faveur de la reconnaissance de la discrimination pour raison de précarité sociale
http://www.lagedefaire-lejournal.fr/atd-quart-monde-contre-les-prejuges/