par bye Ven 13 Fév - 8:18
Pouvons-nous encore espérer, nous autres, Antillais ?( suite )
Quoi qu’il en soit, les faits qui se déroulent sous nos yeux, en dépit de leur caractère exceptionnel, ne pourraient être qualifiés de fièvre révolutionnaire, n’en déplaise à mes amis marxistes. En outre, force est d’admettre – et pour ma
part je le regrette vivement – que ce rapprochement entre les leaders syndicaux et les élus locaux n’aura été que de courte durée, les vieux réflexes et les vielles rancœurs reprenant vite le dessus. Et peut-être que de ce fait, le LKP a
malheureusement foncièrement manqué de dimension politique, au sens noble du terme. Mais il n’empêche, le basculement historique lui a bien eu lieu, et il a
indéniablement précipité l’éveil des consciences. Comment expliquer que 60 000 personnes vinrent manifester le 30 janvier dans les rues de Pointe-à-Pitre, et de façon étonnement pacifique et apaisée ? Et que dire aussi de l’incroyable effervescence des opinions qui s’expriment actuellement sur Internet, à travers les médias audiovisuels ou dans la presse ? Que dire encore du nombre considérable de textes de réflexion qui circulent en ce moment sur la Toile,
chacun y allant d’un réel effort d’analyse et de clairvoyance ? Enfin, que penser du fait qu’à travers diverses associations ou comités créés tout récemment, les jeunes lycéens et étudiants découvrent qu’ils sont une des pièces maîtresses de nos sociétés ? N’est-ce pas là des signes tangibles d’une amorce de prise de conscience collective d’enracinement dans une réalité territoriale et socioéconomique tout aussi complexe que singulière, mais sur laquelle nous voudrions désormais avoir prise ?
Alors je le dis avec tout l’esprit de responsabilité qui m’anime : L’heure est venue je crois, de relancer le débat sur l’évolution statutaire aux Antilles, même si l’on doit reconnaître que la Martinique a un temps d’avance, ou du moins la classe politique martiniquaise. Mais en évitant cette fois-ci les écueils qui nous ont conduits à l’échec de la consultation du 7 décembre 2003. Ou plus précisément, en évitant que le débat ait lieu uniquement dans les partis
politiques et dans des cercles fermés, à l’abri de l’opinion publique. Donc en évitant toute césure entre la classe politique, les intellectuels, et les simples citoyens. Et je vois déjà poindre un tel risque en Martinique au travers des divergences de fond qui se font jour entre leaders politiques sur cette éminente question. Car que penser du coup de force d’Alfred Marie-Jeanne et de Claude Lise à l’égard de Serge Letchimy et du PPM, concernant le choix du mode de scrutin d’une éventuelle prochaine assemblée unique ? Autant il me semble louable que les élus martiniquais se prononcent en faveur de l’autonomie au travers de l’article 74 de la Constitution, autant je trouve pour le moins curieux que les Présidents des deux collectivités – Région et Département – font du mode de scrutin à la proportionnelle intégrale une condition non négociable de l’accession à l’autonomie de la Martinique. Par ce diktat si peu démocratique, seraient-ils malgré eux en train de tuer la poule dans l’œuf ?
Parce que nos concitoyens martiniquais ne comprendraient pas que tels leaders décident seuls d’une question aussi sensible, sans qu’eux y soient associés!
D’autant que si demain cette assemblée unique devait disposer de quelques prérogatives législatives, il semble que le mode de scrutin le plus démocratique – à l’instar de celui de l’Assemblée nationale – reste et demeure le scrutin
majoritaire uninominal à deux tours ; les citoyens doivent connaître qui ils élisent, et le mandataire doit avoir des comptes à rendre à ses mandants.
Resterait alors à redessiner la carte de ces nouvelles circonscriptions, en s’appuyant par exemple sur celle des anciens cantons qui pourraient être scindés en deux. Certains affirment pourtant que le mode de scrutin à la proportionnelle
permet de garantir la représentativité de toutes les sensibilités politiques.
Soit, bel argument en théorie, mais que constate-t-on dans les faits, et notamment lors des élections régionales ? Que l’on vote pour une tête de liste – le plus souvent les potentats locaux –, sans se soucier le moins du monde des autres figurants, qui pour certains sont des illustres inconnus. C’est ainsi qu’en Guadeloupe, une ancienne présidente de Région avait pu proposer à son coiffeur ou son bijoutier – ou que sais-je encore ? – d’être en position éligible. Et des exemples similaires pourraient être donnés à foison. Donc, aux
martiniquais à se saisir du débat sur le mode de scrutin, et plus largement sur celui de l’autonomie !
Et pour ce qui est du débat en Guadeloupe ? Il n’est que temps de le relancer, une fois que l’effervescence sociale de ces derniers jours sera retombée. Alors par où commencer ? Les intellectuels critiques, les universitaires, et les partis
politiques doivent bien évidemment avoir un rôle moteur. Mais ils ne peuvent confisquer le débat, tout au contraire, ils doivent coûte que coûte s’efforcer de le rendre public, et dès à présent. Cela suppose l’existence d’un espace public digne de ce nom, qui jusqu’à récemment semblait balbutiant. Mais les
événements sociaux ont certainement précipité l’éveil des consciences politiques, et il faut espérer que nos concitoyens resteront éveillés au moins jusqu’aux régionales de 2010, et même au-delà.
Aussi, puisqu’il s’agit d’ouvrir le débat, je voudrais d’ores et déjà lancer quelques pistes, notamment au travers du choix entre les articles 73 ou 74 de la Constitution. Car dans les deux cas, nous avons la possibilité d’opter pour la création d’une collectivité unique se substituant à la Région et
au Département, et de décider quelles nouvelles compétences pourraient être dévolues à cette collectivité, dans des domaines ne touchant pas aux libertés et aux droits fondamentaux, ainsi qu’aux prérogatives régaliennes de la République. Mais alors, quelle différence entre ces deux articles ? Je dirais qu’elle est d’ordre « philosophique » : L’article 73 réaffirme le principe de l’identité législative – toutes les lois promulguées au niveau national sont immédiatement applicables ici – pour nos départements d’outre-mer. Aussi, les adaptions aux lois et règlements prévues dans le cadre du « 73 », ne peuvent l’être qu’en
invoquant les fameuses « caractéristiques et contraintes » de nos collectivités.
D’autant qu’au préalable le législateur – donc le Parlement – doit avoir consenti à de telles adaptations. Tandis que l’article 74 fait explicitement référence aux « intérêts propres de chacune » de nos collectivités, et consacre le principe de la spécialité législative : Les lois et règlements nationaux ne
sont pas immédiatement applicables, et une loi organique, « après avis de l’assemblée délibérante » des collectivités susvisées, définit les conditions dans lesquelles ceux-ci sont applicables. En outre, le « 74 » prévoit d’autres dérogations possibles dans le cadre d’une autonomie renforcée, notamment un réel pouvoir législatif de l’assemblée délibérante, ou encore des mesures justifiées par les nécessités locales en faveur de nos populations, d’accès à l’emploi, de droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine. C’est dire donc toutes les possibilités offertes dans le cadre du « 74 », et non des moindres. Et pour ceux qui s’inquièteraient de la
perte de dotations financières étatiques conséquentes une fois l’autonomie octroyée, rappelons que l’article 72-2 de la Constitution prévoit que « tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne des ressources équivalentes », d’autant que la loi est censée
prévoir des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités. Reste que ce principe de péréquation est pour l’instant peu effectif, voire inexistant. D’autant que l’article 72-2 se contredit en posant le principe de l’autonomie financière de chaque collectivité : « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ». Et cela vaut bien entendu pour toutes les
collectivités de France et de Navarre, l’universitaire Pierre-Yves Chicot l’a récemment souligné lors d’une interview télévisée. Donc, tout en étant attentifs
aux transferts de ressources équivalentes dans le cadre de l’accession à l’autonomie, nous devrons aussi réfléchir à la création de nouvelles ressources propres – comme c’est par exemple actuellement le cas pour l’octroi de mer –, qui seraient les moins injustes possibles. Et pour ma part, je vois déjà une piste intéressante : la création d’une taxe portuaire et aéroportuaire – d’un montant non exorbitant fixé par la collectivité unique – dont devrait s’acquitter toute personne en visite dans nos départements qui ne serait pas résidante. D’où aussi l’idée implicite d’une carte de résidant, mais qui bien entendu ne serait pas basée sur « le droit du sang », mais le « droit du sol ».
Quoi qu’il en soit, le débat ne fait que commencer.