Au milieu
Il se fige maintenant au milieu du pont, de la ville,
De plus en plus semblable à une statue de cerf effondré
Que le soir couvre comme un manteau et par le bord ondulant
Transmet son frisson, déjà faible, à l’eau du fleuve, au
grondement
Lointain du trafic
Sur les quais. Etouffant sous le poids des mères entassées,
il s’interroge en silence
Sur le secret d’une pitié sans nom qui, dans la pénombre,
attendrit jusqu’à la pierre ;
Le mot parapluie s’élève dans son regard, face au crachin,
Comme une étoile de lambeaux noirs. Il n’y a pas où
fuir ; sauf, comme d’habitude,
Vers le centre tremblé de sa propre masse. Et vers l’éclair
qui en fend
La pierre par sa
Veine d’or,
Nouveau croisement.
Le réveil
Tu sais maintenant : le train qui vient de passer n’était
pas un train
Mais un pan du lointain replié sur lui-même, dans le matin,
Depuis l’horizon étranger, la fraîcheur vers le haut.
Et le parc qu’il a ainsi révélé sous le parc est une salle
nue, sans parois,
Entourée de toute part des seules vitres de l’instant
Que lavent, à fond, le froid
Et les cris retombant des petits
Je t’appelle
Tu réponds dans la pénombre des limbes lointains
Sur laquelle vous régnez seules, avec tes sœurs, par des
murmures
Complices
Où ma sonnerie se perd, interloquée,
A peine eut-elle le temps d’en repêcher ta voix.
La voix qu’en vain j’appâte – sans cesse elle se dérobe dans
ce susurrement
De robes et de laines, de tissages, dans les craquements
obstinés de bûchettes pour le feu, les claquements des langues trempés avec patience
Avant qu’ils comblent la fissure dans la masse du Sphynx.
Déjà, tu fais retomber le combiné, lourde paupière,
Te recouches à côté des autres, sous l’aile protectrice
De l’aînée. Sœur dont le sexe, pour tout goût, a la fadeur
du frisson pluvieux
De l’arbre affleurant à peine dans la vitre déserte.
Le lendemain
Toute la nuit, la pluie tomba si obtuse dans les jardins
Que quelqu’un, là-bas, semblait enterrer en secret des tas
de morts.
Tous, pourtant, sortent maintenant le nez au soleil
Pour humer l’air bleu sur la jetée luisante,
S’asseyent, le pinceau en main, devant le chevalet,
Ecoutent brièvement avant de saisir le marteau
Et couvrir le silence en eux par des coups ; presque
Comme si c’était toujours eux-mêmes, et en face de nouveau
se levait l’étendue
De jours prochains. Même toi, pour un peu, tu vivrais
vraiment ici,
Tournée vers mon amour sous l’azur briqué à l’os – ce qui
continue, par bonheur,
Ne cesse d’être une guerre ; le souffle des salles
bleues au fonds des terrains de jeu déserts,
L’éclair lent et nu ce la dormeuse, comme maintenant elle
glisse , à peine réveillée,
A travers la chambre d’après-midi, disent eux-mêmes
seulement « toute la nuit
Dans les jardins, pluie assassine et enterrement en
secret »
Eux
Viennent les envoyés ; quelque chose derrière la tête,
la serviette pleine de murmures d’insidieux
Papiers, comme couverts par l’eau des ans.
Ils viennent, lustrés de frais, obscurs jusqu’à l’intime.
S’agiter avec des gestes experts dans la masse de la saison,
Envahir les salles et les tables, hors de la portée des
familles
En train de mûrir. Ils vont, pleins d’intentions, le vide
bat encore en eux ,
Demain, à chaque pas, bâille entre els jambes,
Les envoyés, cliquetis vifs de pointes-bic, de mallettes,
Nécessaire à la marche, frisson courroucé des bâtons de
messieurs nonobstant l’indifférence des jardinets, près du chemin. Vont
parlementer , le temps à la recherche d’un nom
Roule aveugle. Sur la langue de chacun un discours
d’ouverture, déjà prêt à claquer,
Et entre chacun et tous la même plaine sans bords.
Petr Kräl
Revue « Le Mâche-Laurier » n° 1